Une réflexion entre collègues, source d’apprentissage et d’inspiration
Les démographes nous avaient pourtant prévenus. Aujourd’hui les travailleurs sont de plus en plus nombreux à partir à la retraite. Et les jeunes entrent en moins grand nombre que leurs ainés pour prendre la relève. Ainsi, la pénurie et la rareté de main-d’œuvre obligent les employeurs à remettre en question leurs façons de faire. Et ils ont de plus en plus recours à la main-d’œuvre immigrante. D’autant plus que la pandémie a amplifié ce phénomène.
D’ailleurs, le Canada a accueilli plus de 400 000 nouveaux immigrants en 2022, selon Statistiques Canada. Mais certains employeurs hésitent encore à les recruter. Est-ce qu’ils ne côtoient pas suffisamment de personnes immigrantes ? Est-ce par manque d’expérience ou par peur de l’inconnu? Bref, quels sont les défis et les avantages d’intégrer la main-d’œuvre immigrante ? Nous vous partageons dans les lignes suivantes, le fruit d’une réflexion à cet égard, réalisée en collaboration avec ma collègue Asma Sedraoui.
Les défis des employeurs dans l’embauche de personnel immigrant
Le défi d’évaluer la qualité de la formation et du parcours académique
Souvent, face à l’inconnu, on hésite. Certains attendront le témoignage d’expériences, de collègues ou d’amis avant de se décider à plonger dans l’embauche d’immigrants. Le manque de cadre de références et de connaissances sur le parcours académique et professionnel des candidats est aussi un frein. Par exemple, les écoles et les organisations du pays d’origine d’un candidat ne sont souvent pas connu ou sources de préjugés. Car il peut être difficile, voire impossible pour le futur employeur d’avoir des références auprès d’anciens professeurs ou employeurs. Et comment évaluer la qualité des références et du parcours académique, dans ce contexte, lorsqu’on a aucun contact ou vécu dans le pays d’origine d’un candidat.
Le défi d’évaluer les qualifications et les compétences acquises à l’étranger
Comment évaluer le niveau réel de maitrise des outils, des logiciels, de la langue et des compétences? Que l’employeur ait un département des ressources humaines ou non, avoir un processus de recrutement et de sélection bien structuré est un incontournable. Ce processus, malgré la facilité des échanges virtuels, doit inclure des entrevues bien structurées en face à face permettant d’établir un échange de qualité et authentique avec les candidats. Ces entrevues devraient s’appuyer sur des questions soigneusement préparées avec des mises en situation. Il est aussi avantageux pour les candidats et les employeurs d’inclure des tests d’aptitudes afin de valider et mieux connaître leurs acquis et leur savoir-faire. Même si une personne possède une formation de niveau universitaire, une brève mise en situation avec un test écrit ou oral permettra de mesurer le potentiel des candidats. Une fois ces éléments connus, dans certains cas, il sera plus facile de déterminer l’encadrement et la formation requise pour favoriser l’intégration de la personne immigrante. Si vous n’avez pas ces outils et ces compétences en recrutement à l’interne, il serait avantageux d’avoir recours à des professionnels externes dans ce domaine.
Le défi de surmonter la peur de se tromper
Des expériences d’intégration difficiles ou des échecs passés pourraient aussi faire hésiter certains employeurs. Certains auront peur de manquer de temps ou d’aptitudes pour l’intégration et la formation interne. Il faut accepter le doute. Des adaptations sont requises de part et d’autre (employé et employeur). N’oublions pas que les difficultés sont aussi des occasions d’apprentissage. On ne peut pas acquérir une compétence, sans faire d’erreurs. Certains auront peur que la personne ne connaisse pas suffisamment les codes ou l’environnement socioculturel dans lequel le nouvel employé devra œuvrer. Mais si la personne n’a pas la chance de vivre cette expérience, il est certain qu’elle ne pourra pas apprivoiser ce nouvel environnement et le comprendre.
Le défi de composer avec les différences de pensée et de méthodologie de travail
Savoir communiquer et échanger nos idées au sein d’une équipe est l’une des compétences les plus recherchées par un employeur. Si un employé immigrant a de la difficulté dans ce domaine ou ne démontre pas d’effort suffisant en ce sens, cela pourrait nuire à son intégration. Les différences de langue, de culture du travail et de bagage entre la personne immigrante et ses collègues pourraient être un frein dans l’intégration. Surtout si elles ne sont pas conscientisées et acceptées de part et d’autre. Par exemple au Canada, au Québec et en Amérique du Nord, la spécialisation et l’aspect technique sont, en général, prisés davantage que les connaissances générales. La bonne combinaison d’expérience et de formation est recherchée, mais cela n’est pas toujours acquis en début de carrière. Notre culture nord-américaine valorise beaucoup l’aspect pratique et technique, ce qui n’est pas le cas partout. Comprendre ces différences, les accepter et savoir en parler ouvertement et positivement, permet à l’immigrant et à l’employeur de mieux connecter.
Les bénéfices d’embaucher du personnel immigrant
Les statistiques démontrent que l’embauche d’immigrants est en croissance
Une étude de Statistique Canada [1]publiée en juin 2022 démontre que : les travailleurs immigrants permettent de combler les pénuries dans plusieurs secteurs.
- Ces immigrants ont été à l’origine de 84 % de la croissance de la population active totale (de 2010 à 2019).
- De 55 % de la croissance dans les emplois hautement et moyennement spécialisés.
- Au Québec, près d’un emploi sur cinq est occupé par un immigrant, selon l’Institut du Québec.
Savoir reconnaître et mettre à profit le bagage et les sources de motivations
N’oublions pas qu’une personne immigrante a peut-être laissé sa famille, sa patrie et ses repères pour se bâtir un futur meilleur. Dans ce cas, vous serez davantage enclin à lui donner sa chance et à voir cette personne sous un angle différent. Dénicher un premier emploi pour une personne immigrante peut constituer une barrière ou un frein important pour son intégration. Elle a eu le courage de laisser son pays pour trouver notamment une plus grande liberté, le respect, l’équité ou la qualité de vie. C’est pourquoi ces personnes sont souvent prêtes à faire des sacrifices pour trouver un emploi et mettre en valeur tout leur potentiel. Elles méritent qu’on les soutienne dans la quête de cet idéal personnel et professionnel. Ce qui est une grande source de motivation, de dépassement de soi. Il faut leur donner la chance d’atteindre leur plein potentiel.
Un bénéfice pour la culture organisationnelle
Selon l’UNESCO, la diversité culturelle multiplie les choix, nourrit un éventail de compétences, de valeurs humaines et de visions du monde. C’est tirer du passé la sagesse nécessaire pour éclairer l’avenir. Au niveau social, la diversité culturelle est un levier de développement durable des individus, des communautés et des pays. Plus concrètement, la diversité culturelle peut apporter des avantages significatifs en termes d’innovation, de compréhension des clients, des marchés, ou au niveau des communications, de la performance et de la réputation. Le fait de s’ouvrir sur d’autres pays et de diversifier ses réseaux de collaboration et de relations d’affaires exige une culture organisationnelle ouverte. Mais il faut gérer avec prudence la diversité culturelle. En mettant davantage l’emphase sur ce qui rapproche et unit les individus : les valeurs humaines, la créativité, les occasions d’apprentissage et de développement; plutôt que les différences qui divisent.
Un soutien financier est souvent possible durant la phase d’intégration
Les différents paliers de gouvernement offrent des programmes pour faciliter l’intégration professionnelle de personnes immigrantes, surtout dans un contexte de rareté de main-d’œuvre. Ceci permet d’amortir une partie des efforts d’encadrement et des investissements en formation que certains candidats pourraient exiger.
Des bénéfices pour les personnes, pour l’organisation et pour la société
Finalement, composer avec la main-d’œuvre immigrante est une compétence qui s’acquiert avec les expériences vécues. Il faut prendre le temps, s’y préparer soigneusement et mesurer les retombées et bénéfices dans le long terme. Ainsi, démontrer de l’ouverture et composer avec la diversité culturelle pourrait devenir un avantage concurrentiel, un facteur d’attractivité et de rétention : auprès de la main-d’œuvre, de clients, de partenaires. Sans compter que cela peut contribuer au développement et à l’image de l’organisation.
Source[1] : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911084/immigration-main-doeuvre-travailleurs-penurie